Les relations entre la Thaïlande et le Cambodge sont marquées par une histoire complexe de différends frontaliers qui continuent d’influencer leur diplomatie bilatérale et leur position au sein de l’ASEAN. Ces tensions territoriales, héritées de l’époque coloniale, représentent un défi majeur pour la stabilité régionale en Asie du Sud-Est. Dans un contexte géopolitique en constante évolution, comprendre les nuances de ces enjeux frontaliers est essentiel pour anticiper les développements diplomatiques entre ces deux nations voisines et leur impact sur la cohésion de l’ASEAN.

Cet article propose une analyse approfondie des différends frontaliers thaïlando-cambodgiens, en examinant leur origine historique, leurs implications contemporaines, et les efforts diplomatiques déployés pour les résoudre. À travers cette exploration, nous mettrons en lumière comment ces tensions territoriales influencent non seulement les relations bilatérales, mais également la dynamique régionale et l’efficacité des mécanismes de résolution de conflits de l’ASEAN.

Contexte historique et racines des différends frontaliers

Les frontières actuelles entre la Thaïlande et le Cambodge trouvent leurs origines dans les accords franco-siamois du début du XXe siècle, établis lorsque le Cambodge était sous protectorat français et que la Thaïlande (alors connue sous le nom de Siam) négociait sa souveraineté face aux puissances coloniales.

Les traités fondateurs et leur héritage contesté

Les accords franco-siamois, particulièrement ceux de 1904, 1907 et 1937, constituent le fondement juridique des frontières actuelles. Ces traités ont établi des commissions mixtes pour délimiter les frontières, mais les cartes produites étaient souvent imprécises, créant les conditions propices aux désaccords contemporains.

Le Traité de 1904 a posé les premières bases de délimitation, stipulant dans son article 3 que la frontière devait suivre le bassin versant. Cependant, l’interprétation géographique de ce concept a rapidement été contestée par les deux parties. Les relevés topographiques incomplets et les limitations technologiques de l’époque ont contribué à créer des zones d’ombre propices aux différends ultérieurs.

Plus significatif encore, le Traité de 1907 a officialisé la cession des provinces de Battambang et Siem Reap au Cambodge. L’annexe I de ce traité, contenant la carte de délimitation, est devenue une source de contentieux majeure, particulièrement concernant la région du temple de Preah Vihear. Les interprétations divergentes de cette carte constituent le cœur du différend territorial le plus emblématique entre les deux nations.

Les revendications territoriales pendant et après la Seconde Guerre mondiale

La période de la Seconde Guerre mondiale a marqué un tournant dans les relations frontalières. Profitant de l’affaiblissement de la France occupée par l’Allemagne nazie, la Thaïlande a récupéré plusieurs territoires cédés précédemment, formalisant ces acquisitions par la Convention de Tokyo de 1941. Cette période illustre la contestation continue des frontières établies sous influence coloniale.

Toutefois, les Accords de Washington de 1946 ont contraint la Thaïlande à restituer ces territoires, réinstaurant les frontières définies par les traités antérieurs. Ce revirement forcé a laissé des cicatrices diplomatiques durables et alimenté un sentiment de frustration côté thaïlandais, qui considère certaines parties de ces territoires comme historiquement siennes.

Cette séquence historique de gains et de pertes territoriales a contribué à ancrer dans la conscience nationale thaïlandaise l’idée que certains territoires frontaliers pourraient légitimement être revendiqués, créant un terreau fertile pour les tensions qui persistent jusqu’à aujourd’hui.

Les zones de différends contemporaines

Les tensions frontalières entre la Thaïlande et le Cambodge se concentrent autour de trois zones principales, chacune présentant des enjeux spécifiques et une histoire contentieuse qui continue d’alimenter les différends diplomatiques actuels.

Le temple de Preah Vihear : un symbole des tensions frontalières

Le temple de Preah Vihear, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, constitue sans doute le point le plus emblématique des différends territoriaux entre les deux pays. En 1962, la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué en faveur du Cambodge concernant la souveraineté du temple (Affaire du Temple de Preah Vihear, Cambodge c. Thaïlande, arrêt du 15 juin 1962). Cependant, cette décision n’a pas clairement délimité la zone environnante de 4,6 km² située au nord-ouest du temple, laissant place à des interprétations divergentes.

En 2011, la situation s’est considérablement détériorée lorsque des affrontements militaires ont éclaté près du temple, faisant plusieurs victimes dans les deux camps et endommageant partiellement le site historique. Ces événements ont conduit à une militarisation accrue de la zone et ont suscité l’inquiétude de la communauté internationale.

En 2013, la CIJ a fourni une interprétation de son arrêt initial, précisant que le Cambodge avait souveraineté sur l’ensemble du promontoire de Preah Vihear. Bien que cette clarification ait contribué à apaiser les tensions, des incidents mineurs persistent, témoignant de la fragilité de l’accord. En 2024, des patrouilles conjointes ont été mises en place pour réduire les risques d’affrontement, mais la situation reste tendue.

L’archipel de Koh Kood : un différend émergent

L’archipel de Koh Kood représente un autre point de friction entre la Thaïlande et le Cambodge. La souveraineté sur certaines îles de cet archipel, en particulier Koh Kood elle-même, est contestée, ravivant des tensions historiques entre les deux nations. La Thaïlande fonde ses revendications sur des cartes datant du début du 20e siècle, tandis que le Cambodge met en avant des considérations géographiques et des arguments historiques.

En mars 2025, des négociations informelles ont été engagées pour tenter de résoudre ce différend, mais aucun accord concret n’a été trouvé, reflétant la complexité des revendications territoriales. Cette situation illustre comment des zones auparavant considérées comme secondaires peuvent devenir des foyers de tension dans un contexte d’exploitation touristique croissante et de valorisation économique des zones côtières.

Les frontières maritimes dans le golfe de Thaïlande

La délimitation précise des frontières maritimes dans le golfe de Thaïlande constitue un enjeu majeur, exacerbé par la présence potentielle de gisements d’hydrocarbures dans les zones contestées. Les négociations sur ce sujet sont au point mort depuis plusieurs années, chaque pays adoptant une approche distincte face à cette opportunité économique.